jeudi 1 mai 2025

le pigeon, l'hirondelle et le moineau

"Le pigeon, l'hirondelle et le moineau sont les hôtes volontaires de la maison de l'homme. On croirait que la nature les a produits tout exprès pour entretenir dans sa pensée le souvenir de son premier état, et pour ne pas lui laisser perdre de vue ses anciens rapports avec le reste du monde créé. Ils ne sont pas ses vassaux par droit de conquête ; seulement ils aiment à vivre dans les bâtiments qu'il a édifiés, et y accourent à l'envi comme s'ils étaient faits pour eux. Ils l'enchantent des grâces variées de leur vol, de leurs chants et de leurs couleurs, car le pigeon plane avec élégance et avec noblesse, il roucoule tendrement, il déploie au soleil les richesses de sa robe nuée de mille reflets, il reproduit tous les jours sous nos yeux ces miracles d'amour et d'inconsolable constance dont les poètes sont obligés de lui emprunter le modèle. 
L'hirondelle, au vêtement plus sévère, comme il convient à une exilée, file, s'égare et disparaît dans l'air. Elle va au loin pour nous préparer à la perdre ; elle vient de loin pour nous consoler pare l'idée de la revoir. Elle ne sait que susurrer  et se plaindre, et son murmure inquiet ressemble à des pleurs, parce qu'elle a le soin d'une famille. Tu sais de quels enseignements elle est chargée pour nous : elle annonce la pluie, elle annonce le beau temps, elle annonce le deuil de l'année, elle annonce le retour de la bonne saison ; elle porte sur ses ailes noires le calendrier du laboureur. C'est elle qui apprit à nos pères l'art de l'architecture rustique ; c'est elle qui apprend à nos filles les sollicitudes et les joies de la maternité.
Le moineau, habillé comme un simple paysan pauvre, mais robuste, de bonne humeur, et tout dispos à une fête, le moineau, vif, indiscret, curieux, pétulant et bouffon, vole, sautille, bondit au milieu des troupeaux et de nos enfants. Il babille, il jargonne, il siffle, il porte partout la gaieté. Libre habitant du toit domestique, où il paie sa bienvenue en plaisir, on lui donne tout ce qu'il demande, et il le sait si bien qu'il ne manque jamais, quand la neige couvre la terre où dorment les semences que nous lui avons confiées, de venir frapper du bec, avec un air résolu, à la vitre de la salle à manger, pour réclamer les miettes du festin.
En vérité, n'imagines-tu pas que le premier homme qui fit servir sur sa table le pigeon de ses tourelles, l'hirondelle de ses corniches et le moineau de ses murailles, viola outrageusement les saintes lois de l'hospitalité ?" 
Charles Nodier, "M. de La Mettrie ou Les Superstitions", dans Rêveries, Paris, Éditions Plasma, 1979, p. 134-135.

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