Aussitôt que je fus à cheval, je pris la route de Mauve, qui est, si je ne me trompe, à cinq lieues de Nantes, sur la rivière, et où nous étions convenus que M. de Brissac et M. le chevalier de Sévigné m'attendraient avec un bateau pour la passer. La Ralde, écuyer de M. le duc de Brissac, qui marchait devant moi, me dit qu'il fallait galoper d'abord pour ne pas donner le temps aux gardes du Maréchal de fermer la porte d'une petite rue du faubourg où était leur quartier, et par laquelle il fallait nécessairement passer. J'avais un des meilleurs chevaux du monde, et qui avait coûté mille écus à M. de Brissac. Je ne lui abandonnai pas toutefois la main, parce que le pavé était très mauvais et très glissant ; mais un gentilhomme à moi, qui s'appelait Boisguérin, m'ayant crié de mettre le pistolet à la main, parce qu'il voyait deux gardes du Maréchal, qui ne songeaient pourtant pas à nous, je l'y mis effectivement ; et en le présentant à la tête de celui des gardes qui était le plus près de moi, pour l'empêcher de se saisir de la bride de mon cheval, le soleil, qui était encore haut, donna dans la platine ; la réverbération fit peur à mon cheval, qui était vif et vigoureux ; il fit un grand soubresaut, et il retomba des quatre pieds. J'en fus quitte pour l'épaule gauche qui se rompit contre la borne d'une porte. Un gentilhomme à moi, appelé Beauchesne, me releva ; il me remit à cheval ; et, quoique je souffrisse des douleurs effroyables et que je fusse obligé de me tirer les cheveux, de temps en temps, pour m'empêcher de m'évanouir, j'achevai ma course de cinq lieues devant que Monsieur le Grand Maître [de l'artillerie, le fils de La Meilleraye], qui me suivait à toute bride avec tous les cocus de Nantes, au moins si l'on en veut croire la chanson de Marigni, m'eût pu joindre.
Mémoires du Cardinal de Retz, Bibliothèque de la Pléiade, 1956. Épisode 2, p. 793-794.
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