vendredi 10 janvier 2025

l'Après-midi d'un faune de Debussy dans La Montagne magique de Thomas Mann


John L. Scott Williams (1877-1975), Faune jouant de l'aulos
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"Après ces effrois et ces transfigurations [l'opéra Aïda], il s'était accoutumé à écouter une deuxième pièce qui, pour être brève [9-10 minutes], n'en était pas moins un condensé de magie, d'une teneur bien plus paisible  que me premier morceau ; une idylle, certes, mais d'une grande subtilité, peinte et créée avec les ressources économes et complexes de l'art contemporain. Cette œuvre orchestrale sans parties chantées, prélude symphonique d'origine française, était réalisée avec un dispositif restreint [3 flûtes, 3 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 4 cors, crotales (cymbales antiques), 2 harpes, les cordes], vu la conjoncture ; comme elle exploitait  cependant tous les artifices  de la technique moderne, elle était habilement conçue pour faire divaguer l'âme dans les rêveries.
Voici le rêve qu'elle inspirait à Hans [Castorp] : couché dans un pré inondé de soleil et piqueté d'asters de toutes les couleurs, la tête sur une éminence de terre, il avait les jambes croisées et repliées, sauf que c'étaient des pattes de bouc. Comme cette prairie était d'une parfaite solitude, ses doigts couraient à plaisir sur une petite flûte qu'il, avait à la bouche, une clarinette ou un chalumeau dont il, tirait des sons tranquilles et nasillards, égrenés note à note, au gré du souffle, et qui parvenaient pourtant à former une ronde ; ces nasillements insouciants montaient vers l'azur intense, dépassait le feuillage délicat de bouleaux et de frênes épars, à peine agités par la brise, qui étincelaient au soleil. Son sifflotement songeur et indolent, à demi mélodieux, ne restait pas longtemps la seule voix de cette solitude. Le bourdonnement des insectes par-dessus l'herbe, dans l'air d'une chaleur estivale, les rayons du soleil, la brise, les cimes ondoyantes, les feuilles scintillantes, toute cette paix estivale au doux balancement prenait des sonorités variées, alentour, donnant à ses naïves notes de pipeau, à leur gamme toujours surprenante, une signification harmonieuse toujours pleine de variété."
Thomas Mann, La Montagne magique, Le Livre de Poche, 2019, p. 995-996.

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