vendredi 10 janvier 2025

le phonogramme dans La Montagne magique de Thomas Mann



"Ce qu'on trouva un beau soir dans le salon de musique, en levant les bras au ciel ou en s'inclinant, les mains jointes devant les cuisses, n'avait rien d'un instrument d'optique : c'était un appareil acoustique. Par surcroît, ces attractions faciles ne soutenaient pas la comparaison avec cet objet, en matière de classe, de rang et de valeur. Ce n'était pas une de ses supercheries puériles et monotones [stéréoscope, kaléidoscope, zootrope, tambour rotatif où l'on plaçait des bandes cinématographiques à observer par des fentes latérales] dont on se lassait, sans plus y toucher, au bout de trois malheureuses semaines. C'était une corne d'abondance qui procurait une jouissance esthétique à la fois allègre et écrasante. C'était un phonogramme.
Nous redoutons fort que ce mot ne soit compris de travers, dans un sens indigne et dépassé, et n'évoque une image correspondant à une forme primitive et désuète de l'objet réel auquel nous songeons, et non à cette réalité parachevée par les infatigables tentatives d'amélioration de la technique appliquée aux arts. Mes bons amis, ce n'était pas le misérable coffret à manivelle qui, naguère muni d'une plaque tournante etr d'un stylet, simple accessoire d'un pavillon en laiton, emplissait les oreilles peu exigeantes de hurlements nasillards, posé sur une table de restaurant. Plus profond que large, le coffre laqué en noir mat qui, relié à une prise électrique par un câble de soie, trônait avec une distinction modeste sur un socle à compartiments, ne ressemblait plus du tout à ce grossier engin antédiluvien. Ayant soulevé un couvercle au galbe gracieux, dissimulant au fond une tige de soutien métallique qui le maintenait automatiquement en position oblique pour protéger l'appareil, on distinguait dans un léger renfoncement le plateau couvert de feutre vert, bordé de nickel, et, en son milieu, un axe cylindrique du même métal permettant de centrer le disque en ébonite. On remarquait encore, à l'avant et sur le côté droit, un dispositif chiffré comme une montre pour régler la vitesse de rotation, et, à gauche, la manivelle destinée à faire tourner  ou à stopper le mécanisme ; au fond, le bras mécanique en nickel articulé avec souplesse, sinueux et renflé, comportant à son extrémité une tête de lecture ronde et plate, dont le résonnateur supportait l'aiguille [en acier, indiqué plus loin] parcourant les sillons."
Thomas Mann, La Montagne magique, (Der Zauberberg, 1924), traduction nouvelle de Claire de Oliveira, Le Livre de Poche Biblio, 2019, p. 978-980.
Plus loin, page 983, il est indiqué que l'aiguille en acier n'était à utiliser qu'une fois par disque. Et pages 985 et 986, l'auteur nous dit qu'il y avait des aiguilles douces qui servaient de sourdine et des aiguilles dures pour les mélodies de petits orchestres de danse.
Enfin, page 939, « le Tchèque mit l'appareil en marche et posa le saphir sur le disque », ce qui est, me semble-t-il, étonnant pour un appareil des années 1920. Thomas Mann possédait un phonogramme de fabrication allemande et de marque Electra. 

J'ai connu vers 1948 le type de phonogramme décrit par Thomas Mann. Effectivement, il fallait changer l'aiguille en acier à chaque disque. Plus tard, avec l'électrophone, vers 1955, on pouvait insérer au bout du bras, extrêmement léger, un saphir, à changer après avoir écouté une dizaine de disques microsillons 33 tours, 30 cm. On pouvait aussi y mettre un diamant qui durait beaucoup plus longtemps.

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