"À
intervalles symétriques, au milieu de l'inimitable ornementation de leurs
feuilles qu'on ne peut confondre avec la feuille d'aucun autre arbre fruitier,
les pommiers ouvraient leurs larges pétales de satin blanc ou suspendaient les
timides bouquets de leurs rougissants boutons. C'est du côté de Méséglise que
j'ai remarqué pour la première fois l'ombre ronde que les pommiers font
sur la terre ensoleillée, et aussi ces soies d'or impalpable que le couchant
tisse obliquement sur les feuilles, et que je voyais mon père interrompre de sa
canne sans jamais les faire dévier."
"Mais quand sur le chemin du retour j'avais aperçu sur la gauche une ferme, assez distante de deux autres qui étaient au contraire très rapprochées, et à partir de laquelle pour entrer dans Combray il n'y avait plus qu'à prendre une allée de chênes bordée d'un côté de prés appartenant chacun à un petit clos et plantés à intervalles égaux de pommiers qui y portaient, quand ils étaient éclairés par le soleil couchant, le dessin japonais de leurs ombres, brusquement mon cœur se mettait à battre, je savais qu'avant une demi-heure nous serions rentrés, et que, comme c'était de règle les jours où nous étions allés du côté de Guermantes et où le dîner était servi plus tard, on m'enverrait me coucher sitôt ma soupe prise, de sorte que ma mère, retenue à table comme s'il y avait du monde à dîner, ne monterait pas me dire bonsoir dans mon lit."
"... ce sont ces prairies où, quand le soleil les rend réfléchissantes comme une mare, se dessinent les feuilles des pommiers, c'est ce paysage dont parfois, la nuit dans mes rêves, l'individualité m'étreint avec une puissance presque fantastique et que je ne peux plus retrouver au réveil."
Marcel Proust, Du côté de chez Swann, Le Livre de Poche Classique, 1992, p. 191, 228-229, 231.
"Au milieu d'elles [des terres labourées], on voyait ça et là un pommier, privé il est vrai de ses fleurs et ne portant plus qu'un bouquet de pistils, mais qui suffisait à m'enchanter parce que je reconnaissais ces feuilles inimitables dont la large étendue, comme le tapis d'estrade d'une fête nuptiale maintenant terminée, avait été tout récemment foulée par la traîne de satin blanc des fleurs rougissantes.
Combien de fois à Paris, dans le mois de l'année suivante, il m'arriva d'acheter une branche de pommier chez le fleuriste et de passer ensuite la nuit devant ses fleurs où s'épanouissait la même essence crémeuse qui poudrait encore de son écume les bourgeons de feuilles et entre les blanches corolles desquelles il semblait que ce fût le marchand qui par générosité envers moi, par goût inventif aussi et contraste ingénieux, eût ajouté de chaque côté, en surplus, un seyant bouton rose ; je les regardais, je les faisait poser sous ma lampe - si longtemps que j'étais souvent encore là quand l'aurore leur apportait la même rougeur qu'elle devait faire en même temps à Balbec - et je cherchais à les reporter sur cette route par l'imagination, à les multiplier, à les étendre dans le cadré préparé, sur la toile toute prête, de ces clos dont je savais le dessin par cœur et que j'aurais tant voulu, qu'un jour je devais, revoir, au moment où avec la verve ravissante du génie, le printemps couvre leur canevas de ses couleurs."
"C'était des fleurs, mais pas de celles dont j'eusse mieux aimé lui commander [au peintre Elstir] le portrait que celui d'une personne, afin d'apprendre par la révélation de son génie ce que j'avais si souvent cherché en vain devant elles - aubépines, épines roses, bluets, fleurs de pommiers."
Marcel Proust, À l'ombre des jeunes filles en fleurs, Le Livre de Poche Classique, 1992, p. 334-335 et 482.
" - Vous peignez en effet de belles fleurs de cerisier... ou des roses de mai", dit l'historien de la Fronde non sans hésitation quant à la fleur...
"Non, ce sont des fleurs de pommier, dit la duchesse de Guermantes en s'adressant à sa tante.
- Ah ! je vois que tu es une bonne campagnarde ; comme moi, tu sais distinguer les fleurs.
- Ah ! oui, c'est vrai ! mais je croyais que la saison des pommiers était déjà passée, dit au hasard l'historien de la Fronde pour s'excuser.
- Mais non, au contraire, ils ne sont pas en fleurs, ils ne le seront pas avant une quinzaine, peut-être trois semaines", dit l'archiviste qui, gérant un peu les propriétés de Mme de Villeparisis, était plus au courant des choses de la campagne.
"Oui, et encore dans les environs de Paris où ils sont très en avance. En Normandie, par exemple, chez son père, dit-elle, en désignant le duc de Châtelllerault, qui a de magnifiques pommiers au bord de la mer, comme sur un paravent japonais, ils ne sont vraiment roses qu'après le 20 mai."
Mazrcel Proust, Le Côté de Guermantes, Le Livre de Poche Classique, 1992, p. 249.
"Je partis me promener seul vers cette grande route que prenait la voiture de Mme de Villeparisis quand nous allions nous promener avec ma grand-mère ; des flaques d'eau que le soleil qui brillait n'avait pas séchées, faisait du sol un vrai marécage, et je pensais à ma grand-mère qui jadis ne pouvait marcher deux pas sans se crotter. Mais dès que je fus arrivé à la route ce fut un éblouissement. Là où je n'avais vu avec ma grand-mère, au mois d'août, à perte de vue, que les feuilles et comme l'emplacement des pommiers, à perte de vue ils étaient en pleine floraison, d'un luxe inouï, les pieds dans la boue et en toilette de bal, ne prenant pas de précautions pour ne pas gâter le plus merveilleux satin rose qu'on eût jamais vu et que faisait briller le soleil ; l'horizon lointain de la mer fournissait aux pommiers comme un arrière-plan d'estampe japonaise ; si je levais la tête pour regarder le ciel entre les fleurs, qui faisaient paraître son bleu rasséréné, presque violent, elles semblaient s'écarter pour montrer la profondeur de ce paradis. Sous cet azur une brise légère mais froide faisait trembler légèrement les bouquets rougissants. Des mésanges bleues venaient se poser sur les branches et sautaient entre les fleurs, indulgentes, comme si c'eût été un amateur d'exotisme et de couleurs qui avait artificiellement créé cette beauté vivante. Mais elle touchait jusqu'aux larmes parce que, si loin qu'elle allât dans ses effets d'art raffiné, on sentait qu'elle était naturelle, que ces pommiers étaient là en pleine campagne comme des paysans, sur une grande route de France. Puis aux rayons du soleil succédèrent subitement ceux de la pluie ; ils zébrèrent tout l'horizon, , enserrèrent la file des pommiers dans leur réseau gris. Mais ceux-ci continuaient à dresser leur beauté, fleurie et rose, dans le vent devenu glacial sous l'averse qui tombait : c'était une journée de printemps."
Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe, Le Livre de Poche Classique, 1993, p. 255-256
"Et aucune image d'elle [Albertine] n'accompagnant les palpitations cruelles qui y suppléaient, les larmes qu'apportait à mes yeux un vent froid soufflant comme à Balbec sur les pommiers déjà roses, j'en arrivais à me demander si la renaissance de ma douleur n'était pas due à des causes toutes pathologiques et si ce que je prenais pour la reviviscence d'un souvenir et la dernière période d'un amour, n'était pas plutôt le début d'une maladie de cœur."
Marcel Proust, Albertine disparue, Le Livre de Poche Classique, 2009, p. 189.
"Toute la journée, dans cette demeure un peu trop campagnarde qui n'avait l'air que d'un lieu de sieste entre deux promenades ou pendant l'averse, une de ces demeures où chaque salon a l'air d'un cabinet de verdure, et où sur la tenture des chambres les roses du jardin dans l'une, les oiseaux des arbres dans l'autre, vous ont rejoints et vous tiennent compagnie - isolés du moins - car c'étaient de vieilles tentures où chaque rose était assez séparée pour qu'on eût pu si elle avait été vivante la cueillir, chaque oiseau le mettre en cage et l'apprivoiser, sans rien de ces grandes décorations des chambres d'aujourd'hui où sur un fond d'argent, tous les pommiers de Normandie sont venus se profiler en style japonais pour halluciner les heures que vous passez au lit ; toute la journée, je la passais dans ma chambre qui donnait sur les belles verdures du parc et les lilas de l'entrée, les feuilles vertes des grands arbres au bord de l'eau, étincelants de soleil, et la forêt de Méséglise."
Marcel Proust, Le Temps retrouvé, Le Livre de Poche Classique,1993, p. 39.
Marcel Proust, À l'ombre des jeunes filles en fleurs, Le Livre de Poche Classique, 1992, p. 334-335 et 482.
" - Vous peignez en effet de belles fleurs de cerisier... ou des roses de mai", dit l'historien de la Fronde non sans hésitation quant à la fleur...
"Non, ce sont des fleurs de pommier, dit la duchesse de Guermantes en s'adressant à sa tante.
- Ah ! je vois que tu es une bonne campagnarde ; comme moi, tu sais distinguer les fleurs.
- Ah ! oui, c'est vrai ! mais je croyais que la saison des pommiers était déjà passée, dit au hasard l'historien de la Fronde pour s'excuser.
- Mais non, au contraire, ils ne sont pas en fleurs, ils ne le seront pas avant une quinzaine, peut-être trois semaines", dit l'archiviste qui, gérant un peu les propriétés de Mme de Villeparisis, était plus au courant des choses de la campagne.
"Oui, et encore dans les environs de Paris où ils sont très en avance. En Normandie, par exemple, chez son père, dit-elle, en désignant le duc de Châtelllerault, qui a de magnifiques pommiers au bord de la mer, comme sur un paravent japonais, ils ne sont vraiment roses qu'après le 20 mai."
Mazrcel Proust, Le Côté de Guermantes, Le Livre de Poche Classique, 1992, p. 249.
"Je partis me promener seul vers cette grande route que prenait la voiture de Mme de Villeparisis quand nous allions nous promener avec ma grand-mère ; des flaques d'eau que le soleil qui brillait n'avait pas séchées, faisait du sol un vrai marécage, et je pensais à ma grand-mère qui jadis ne pouvait marcher deux pas sans se crotter. Mais dès que je fus arrivé à la route ce fut un éblouissement. Là où je n'avais vu avec ma grand-mère, au mois d'août, à perte de vue, que les feuilles et comme l'emplacement des pommiers, à perte de vue ils étaient en pleine floraison, d'un luxe inouï, les pieds dans la boue et en toilette de bal, ne prenant pas de précautions pour ne pas gâter le plus merveilleux satin rose qu'on eût jamais vu et que faisait briller le soleil ; l'horizon lointain de la mer fournissait aux pommiers comme un arrière-plan d'estampe japonaise ; si je levais la tête pour regarder le ciel entre les fleurs, qui faisaient paraître son bleu rasséréné, presque violent, elles semblaient s'écarter pour montrer la profondeur de ce paradis. Sous cet azur une brise légère mais froide faisait trembler légèrement les bouquets rougissants. Des mésanges bleues venaient se poser sur les branches et sautaient entre les fleurs, indulgentes, comme si c'eût été un amateur d'exotisme et de couleurs qui avait artificiellement créé cette beauté vivante. Mais elle touchait jusqu'aux larmes parce que, si loin qu'elle allât dans ses effets d'art raffiné, on sentait qu'elle était naturelle, que ces pommiers étaient là en pleine campagne comme des paysans, sur une grande route de France. Puis aux rayons du soleil succédèrent subitement ceux de la pluie ; ils zébrèrent tout l'horizon, , enserrèrent la file des pommiers dans leur réseau gris. Mais ceux-ci continuaient à dresser leur beauté, fleurie et rose, dans le vent devenu glacial sous l'averse qui tombait : c'était une journée de printemps."
Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe, Le Livre de Poche Classique, 1993, p. 255-256
"Et aucune image d'elle [Albertine] n'accompagnant les palpitations cruelles qui y suppléaient, les larmes qu'apportait à mes yeux un vent froid soufflant comme à Balbec sur les pommiers déjà roses, j'en arrivais à me demander si la renaissance de ma douleur n'était pas due à des causes toutes pathologiques et si ce que je prenais pour la reviviscence d'un souvenir et la dernière période d'un amour, n'était pas plutôt le début d'une maladie de cœur."
Marcel Proust, Albertine disparue, Le Livre de Poche Classique, 2009, p. 189.
"Toute la journée, dans cette demeure un peu trop campagnarde qui n'avait l'air que d'un lieu de sieste entre deux promenades ou pendant l'averse, une de ces demeures où chaque salon a l'air d'un cabinet de verdure, et où sur la tenture des chambres les roses du jardin dans l'une, les oiseaux des arbres dans l'autre, vous ont rejoints et vous tiennent compagnie - isolés du moins - car c'étaient de vieilles tentures où chaque rose était assez séparée pour qu'on eût pu si elle avait été vivante la cueillir, chaque oiseau le mettre en cage et l'apprivoiser, sans rien de ces grandes décorations des chambres d'aujourd'hui où sur un fond d'argent, tous les pommiers de Normandie sont venus se profiler en style japonais pour halluciner les heures que vous passez au lit ; toute la journée, je la passais dans ma chambre qui donnait sur les belles verdures du parc et les lilas de l'entrée, les feuilles vertes des grands arbres au bord de l'eau, étincelants de soleil, et la forêt de Méséglise."
Marcel Proust, Le Temps retrouvé, Le Livre de Poche Classique,1993, p. 39.
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