mardi 19 mars 2019

Albertine en bicyclette saluant le peintre Elstir


"Elstir et moi étions allés jusqu'au fond de l'atelier, devant la fenêtre qui donnait derrière le jardin sur une étroite avenue de traverse, presque un petit chemin rustique... Je me croyais bien loin des jeunes filles de la petite bande, et c'est en sacrifiant pour une fois l'espérance de les voir que j'avais fini par obéir à la prière de ma grand-mère et aller voir Elstir. Car  trouve ce qu'on cherche, on le sait pas et on fuit souvent pendant bien longtemps le lieu où, pour d'autres raisons, chacun nous invite ; mais nous ne soupçonnons pas que nous y verrions justement l'être auquel nous pensons. Je regardais vaguement ce chemin campagnard qui, extérieur à l'atelier, passait tout près de lui mais n'appartenait pas à Elstir. Tout à coup y apparut, le suivant à pas rapides, la jeune cycliste de la petite bande avec, sur ses cheveux noirs, son polo abaissé vers ses grosses joues, ses yeux gais et un peu insistants ; et dans ce sentier fortuné miraculeusement rempli de douces promesses, je la vis sous les arbres adresser à Elstir un salut souriant d'amie, arc-en-ciel qui unit pour moi notre monde terraqué à des régions que j'avais jugées jusque-là inaccessibles."
À l'ombre des jeunes filles en fleurs, Le Livre de Poche classique, p. 478-479.
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Une illustration de Philippe Jullian (1919-1977)
pour Ȧ l'ombre des jeunes filles en fleurs de Marcel Proust

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