"Voyant toujours augmenter l'enflure de mon genou droit et la douleur dans l'articulation, sans pouvoir trouver aucun remède ni aucun avis, puisqu'au Harrar nous sommes au milieu des nègres et qu'il n'y a point là de médecins, je me décidai à descendre. Il fallait abandonner les affaires : ce qui n'était pas très facile, car j'avais de l'argent dispersé de tous les côtés ; mais enfin je liquidai à peu près. Depuis une vingtaine de jours, j'étais couché au Harrar et dans l'impossibilité de faire un seul mouvement, souffrant des douleurs atroces et ne dormant jamais. Je louai seize nègres porteurs, à raison de 15 thalaris l'un, du Harrar à Zeilah ; je fis fabriquer une civière recouverte d'une toile, et c'est là-dedans que je viens de faire, en douze jours, les 300 kilomètres de désert qui séparent les monts du Harrar du port de Zeilah. Inutile de vous dire quelles souffrances j'ai subies en route. Je n'ai jamais pu faire un pas hors de ma civière ; mon genou gonflait à vue d'œil, et la douleur augmentait continuellement.
Arrivé ici [Aden], je suis entré à l'hôpital européen. Il y a une seule chambre pour les malades payants : je l'occupe. Le docteur anglais, dès que je lui ai eu montré mon genou, a crié que c'était une tumeur synovite arrivée à un point très dangereux, par suite du manque de soins et de fatigues. Il parlait d'abord de couper la jambe ; ensuite, il a décidé d'attendre quelques jours pour voir si le gonflement, avec les soins médicaux, diminuerait un peu."
Lettres de Jean-Arthur Rimbaud, Égypte, Arabie, Éthiopie, avec une introduction et des notes de Paterne Berrichon, Paris, Sté du Mercure de France, 1899, p. 244-245. Extrait d'une lettre écrite à Aden le 30 avril 1891.
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