Imaginez un jeune puceau de dix-neuf ans qui somnolait encore dans les limbes de l'adolescence, et n'avait jamais connu que les bla-bla révolutionnaires sur le patriotisme, le communisme, l'idéologie et la propagande. Brusquement, comme un intrus, ce petit livre me parlait de l'éveil du désir, des élans, des pulsions, de l'amour, de toutes ces choses sur lesquelles le monde était, pour moi, jusqu'alors demeuré muet.
Malgré mon ignorance totale de ce pays nommé La France (j'avais quelquefois entendu le nom de Napoléon dans la bouche de mon père, et c'était tout), l'histoire d'Ursule me parut aussi vraie que celle de mes voisins. Sans doute, la sale affaire de succession et d'argent qui tombait sur la tête de cette jeune fille contribuait-elle à renforcer son authenticité, à augmenter le pouvoir des mots. Au bout d'une journée, je me sentais chez moi à Nemours, dans sa maison, près de la cheminée fumante, en compagnie de ces docteurs, de ces curés... Même la partie sur le magnétisme et le somnambulisme me semblait crédible et délicieuse.
Dai Sijie, Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, collection Folio, 2006, p. 72-73.
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