samedi 18 janvier 2025

rêverie nostalgique sur deux poids en forme de pomme de pin d'une horloge

"Moi [Léole narrateur, est dans un camp de travail russe], j'aimais bien cette horloge.
C'étaient les deux poids qui me plaisaient, avec leurs pommes de pin. Ils étaient lourds, en fonte, et j'y voyais les forêts de sapin de nos montagnes. Bien au-dessus de nos têtes, si denses, ces toits d'aiguilles d'un vert sombre. Et dessous, alignés au cordeau, à perte de vue, les troncs et leurs jambes de bois qui, debout comme toi, marchent quand tu marches, et courent à ton rythme. Mais autrement que toi, comme une armée. Et là, quand l'effroi te fait battre le cœur sous la langue, tu remarques, sous tes pieds, un tapis d'aiguilles toutes brillantes, cette paix lumineuse parsemée de pommes de pin. En te penchant, tu en ramasses deux et tu en mets une dans ta poche. L'autre, tu la gardes à la main, et déjà tu n'es plus seul. Elle te ramène à la maison : l'armée n'est qu'une forêt, et ton errance n'est qu'une promenade."
Herta Müller, La Bascule du souffle, Folio Gallimard, 2011, p. 112-113. 

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