jeudi 2 juillet 2020

ce que peut entraîner les défaillances de l’État

"Tant que les abus, les erreurs, les défaillances qui, sous tous les régimes possibles, existent et ne peuvent pas ne pas exister, n'altèrent pas le principe même de la vie de cette entité, (qui est la confiance dans son crédit et la croyance à la supériorité de ses forces), l'opinion n'est pas excessivement émue des incidents fâcheux qui se produisent et qui, promptement résorbés, démontrent la solidité profonde des institutions bien plus qu'ils ne la compromettent. Mais il peut venir un moment que le seuil de la conscience générale est atteint et qu'il devient impossible à la plupart de songer à leurs affaires particulières sans qu'il y trouvent quelque difficulté imputable aux vices de l’État. Quand donc les circonstances générales sont assez inquiétantes pour affecter sensiblement les vies privées, que la chose publique paraît le jouet des événements ; quand la confiance dans les hommes et les institutions est exténuée, et que le fonctionnement des administrations, la marche des services, l'application des lois semblent livrés au caprice, à la faveur ou à la routine ; quand les partis se disputent la jouissance et les avantages inférieurs du pouvoir plutôt que les moyens qu'il offre d'ordonner une nation à quelque idée, - ces sensations de désordre et de trouble ne manquent jamais d'exciter dans ceux qui les éprouvent et qui ne tirent aucun profit d'une telle dissolution, l'image d'un état tout opposé, et bientôt, - de ce qu'il faudrait faire pour qu'il s'établit."
Paul Valéry, L'idée de dictature, Regards sur le monde actuel, Œuvres, tome II, Bibliothèque de la Pléiade, 1960, p. 971-972. Écrit en 1934. 

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