"Malgré cette odeur de branche cassée, de linge mouillé, ce qui surnageait, c'était la tendre odeur des lilas. Elle venait à moi comme tous les jours, quand j'allais jouer au parc situé hors de la ville, bien avant même d'avoir aperçu de loin la porte blanche près de laquelle ils balançaient, comme des vieilles dames bien faites et maniérées, leur taille flexible, leur tête emplumée, l'odeur des lilas venait au-devant de nous, nous souhaitait la bienvenue sur le petit chemin qui longe en contre-haut la rivière, là où des bouteilles sont mises par des gamins dans le courant pour prendre le poisson, donnant une double idée de la fraîcheur, parce qu'elles ne contiennent pas seulement der l'eau, comme sur une table où elles lui donnent l'air du cristal, mais sont contenues par elle et en reçoivent une sorte de liquidité, là où, autour des petites boules de pain que nous jetions, s'aggloméraient en une nébuleuse vivante les têtards, tous en dissolution dans l'eau et invisibles l'instant d'avant, un peu avant de passer le petit pont de bois dans l'encoignure duquel, à la belle saison, un pêcheur en chapeau de paille avait poussé entre les pruniers bleus."
Marcel Proust, Sommeils, dans Contre Sainte-Beuve, Folio Essais, 1987, p. 56.
"Je m'amusais à regarder les carafes que les gamins mettaient dans la Vivonne pour prendre les petits poissons, et qui, remplies par la rivière, où elles sont à leur tour encloses, à la fois contenant aux flancs transparents comme une eau durcie, et contenu plongé dans un plus grand contenant de cristal liquide et courant, évoquaient l'image de la fraîcheur d'une façon plus délicieuse et plus irritante qu'elles n'eussent fait sur une table servie, en ne la montrant qu'en fuite dans cette allitération perpétuelle entre l'eau sans consistance où les mains ne pouvaient la capter et le verre sans fluidité où le palais ne pourrait en jouir. Je me promettais de venir là plus tard avec des lignes [le petit Marcel n'est pas revenu plus tard] ; j'obtenais qu'on tirât un peu de pain des provisions du goûter ; j'en jetais dans la Vivonne des boulettes qui semblaient suffire pour y provoquer un phénomène de sursaturation, car l'eau se solidifiait aussitôt autour d'elles en grappes ovoïdes de têtards inanitiés qu'elle tenait sans doute jusque-là en dissolution, invisibles, tout près d'être en voie de cristallisation."
Marcel Proust, Sommeils, dans Contre Sainte-Beuve, Folio Essais, 1987, p. 56.
"Je m'amusais à regarder les carafes que les gamins mettaient dans la Vivonne pour prendre les petits poissons, et qui, remplies par la rivière, où elles sont à leur tour encloses, à la fois contenant aux flancs transparents comme une eau durcie, et contenu plongé dans un plus grand contenant de cristal liquide et courant, évoquaient l'image de la fraîcheur d'une façon plus délicieuse et plus irritante qu'elles n'eussent fait sur une table servie, en ne la montrant qu'en fuite dans cette allitération perpétuelle entre l'eau sans consistance où les mains ne pouvaient la capter et le verre sans fluidité où le palais ne pourrait en jouir. Je me promettais de venir là plus tard avec des lignes [le petit Marcel n'est pas revenu plus tard] ; j'obtenais qu'on tirât un peu de pain des provisions du goûter ; j'en jetais dans la Vivonne des boulettes qui semblaient suffire pour y provoquer un phénomène de sursaturation, car l'eau se solidifiait aussitôt autour d'elles en grappes ovoïdes de têtards inanitiés qu'elle tenait sans doute jusque-là en dissolution, invisibles, tout près d'être en voie de cristallisation."
Marcel Proust, Du côté de chez Swann, Le Livre de Poche Classique, 1992, p. 214.
Sursaturation, solidification, dissolution, cristallisation, des termes empruntés au vocabulaire scientifique. Voir :
Le Rupt-de-Mad vu du chemin de la Taie à Jaulny
Comme les gamins qui mettaient des carafes dans la Vivonne pour attraper des petits poissons, mon frère et moi, en vacances d'été chez notre grand-mère, utilisions la même méthode, et pour cela nous préparions des bouteilles en verre pour prendre des vairons dans le Rupt-de-Mad.
Dans le petit atelier de dessous la terrasse de la maison de notre grand-mère, où était installé un établi pour le bricolage, mon frère faisait sauter le fond du cul de deux bouteilles de 1 litre en verre blanc avec un tournevis et un marteau. Pendant ce temps-là, je découpais deux entailles longitudinales dans deux bouchons de liège, pour que, une fois les bouteilles mises dans la rivière, l'eau puisse s'écouler.
Les deux bouteille préparées, nous descendions le chemin de la Côte du Friche jusqu'au pont qui mène à l'ancienne halte ferroviaire. Dans la rivière, de l'eau jusqu'à mi-cuisse, nous placions les bouteilles dans un "coulant", le cul vers Rembercourt. Après, nous montions à la maison pour le goûter. Une heure plus tard, impatients, nous redescendions vite pour relever nos bouteilles. Pêche miraculeuse, une dizaine de vairons ! Nous vidions les bouteilles dans un petit seau. Et au repas du soir, nous mangions nos petits poissons en friture.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire