jeudi 4 juin 2020

délicieuse odeur de pétrole et joie de partir

"Parfois l'odeur fétide d'une automobile entrait par la fenêtre, cette odeur que trouvent nous gâter la campagne de nouveaux penseurs qui croient que les joies de l'âme humaine seraient différentes si on voulait, etc., qui croient que l'originalité est dans le fait et non dans l'impression. Mais le fait est si immédiatement transformé par l'impression que cette odeur de l'automobile entrait dans ma chambre tout simplement comme la plus enivrante des odeurs de la campagne en été, celle qui résumait sa beauté et la joie aussi de la parcourir toute, d'approcher d'un but désiré. L'odeur même de l'aubépine ne m'eût apporté l'évocation que d'un bonheur en quelque sorte immobile et limité, celui qui est attaché à une haie. Cette délicieuse odeur de pétrole, couleur du ciel et du soleil, c'était toute l'immensité de la campagne, la joie de partir, d'aller loin entre les bleuets, les coquelicots et les trèfles violets, et de savoir que l'on arrivera au lieu désiré, où notre amie nous attend."
Marcel Proust, Contre Sainte-Beuve, Folio Essais, 1987, p. 73.

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