vendredi 10 avril 2020

pour la paix, ils étaient trois pour porter une croix à La Salette

- Dis-moi, Catherine, il paraît que c'est toi qui loges les trois garçons qui sont arrivés hier soir ?
- Oui, ils ont mis le pied sur ma porte en même temps que la lune.
- Qu'ont-ils fait de la grosse croix en bois qu'ils portaient ?
- Ils l'ont couchée contre le mur de la chambre où je les soigne.
- Sont-ils bien malades ?
- Ils sont jeunes et ils ont des carcasses. Mais le blond a l'épaule droite écorchée et le sang qui coule est noir. Le gros s'est profondément coupé entre lui parce qu'il est gras comme un thon quoique bien bâti. Il est sur son lit, les jambes écartées. Le petit est sec comme un sarment. C'est celui qui a le mieux résisté, à part les pieds : les orteils sont comme des mûres. Ils m'on dit qu'ils venaient de loin. De l'autre bout de la France.
- Tu sais où c'est ?
- Plus de mille kilomètres d'ici, du côté de l'Espagne.
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C'est une croix pour la paix du monde. Ils ont tous les trois de beaux yeux. Le blond les a clairs comme de l'eau, le noir les a noirs et le gros les a bleus comme des bleuets. C'est une idée que des garçons ont eue. Ils ont d'abord tous travaillé à faire la croix très solide pour qu'elle dure longtemps et exactement de la taille de celle qu'a portée Jésus, même un tout petit peu plus grosse. Faut ce qu'il faut. Ils ont cherché un sanctuaire éloigné. Ils le voulaient aussi très haut dans la montagne. Ils ont trouvé La Salette. Alors, les garçons qui ont été désignés pour faire la chose se sont chargé la croix sur l'épaule et ils sont partis. Ils éraient trois parce que, malgré tout, il s'agit de ne pas prendre pour le premier moutardier du pape. Ce que j'ai trouvé être un bon sentiment. Ils m'ont parlé des villes qu'ils ont traversées et des fleuves qu'ils ont passés (sur des ponts) et des montagnes qu'ils ont escaladées puis descendues pour remonter sur d'autres. Ça me plaisait beaucoup.

Jean Giono, "La Croix", dans Faust au village, Paris, Gallimard, 1977, p. 47 et 51-52.
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En avril 1992, j'ai vu à Los Angeles, dans El Pueblo, un chicano (appellation non péjorative) marchant sur un trottoir en  portant une grande croix en bois, suivi de plusieurs coreligionnaires. Le bas de la haste de la croix possédait une roulette.

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