jeudi 9 avril 2020

jardin, une machine à voyager immobile

"On s'apercevait que ce jardin était une très ingénieuse machine à voyager immobile...
Tout, jusqu'à peut-être l'inclinaison des feuillages avait été combiné. Cet éblouissement qui vous frappait dès la première terrasse avait été préparé avec soin pour que Rachel soit obligée de fermer les yeux et de trouver tout de suite son chemin de Damas vers les rêves.
Il n'y avait là que des bambous noirs, extrêmement vernis, dont la gracilité laissait passer librement la lumière et dont le biseau multipliait le frémissement du soleil sur la mer. Par des glissements imperceptibles, les terrasses coulaient de terrasse en terrasse, portant des bouleaux élancés aux troncs en peau de cheval blanc, aux branchages étincelants comme des cristaux de lustres, de longs peupliers d'Italie ruisselants d'un vert doré ; des rangés d'ifs semblables aux ferronneries lancéolées des couvents espagnols, des cyprès de bronze. Ces arbres, soigneusement ébranchés jusqu'à trois mètres du sol, laissaient bondir librement une lumière blonde aux pieds de sel, à laquelle de vastes bassins plats pleins d'eau claire servaient de tremplin et de tapis de gymnasiarque. Des haies d'un buis qu'on avait choisi très sombre et très brillant bordaient les paliers, et quelques escaliers qui tombaient à pic vers la mer qui déroulait au fond de ces puits  les replis d'un velours violet."
Jean Giono, Noé, Gallimard, 1961, p. 170-171.

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