jeudi 19 mars 2020

le peintre Crescent dans "Manette Salomon" des frères Goncourt

Crescent, peintre de l'école de Fontainebleau
 (Jean-François Millet, Théodore Rousseau et Charles Jacque, modèles pour le peintre Crescent)

"Pour lui, la terre n'avait point de lieux communs : le plus petit coin, le moindre sujet lui donnait l'inspiration. Une ferme, un clos, un ruisseau sous bois clapotant sous lez sabot d'un cheval de charrette, une tranche de blé vert plein de coquelicots et de bleuets froissée par l'âne d'une paysanne, une lisière de pommiers en fleur blancs et roses comme les arbres de paradis : c'étaient ses tableaux. Une ligne d'horizon, une mare, une silhouette de femme perdue, il ne lui fallait que cela pour faire voir et toucher à l’œil la plaine de Barbizon.
Sa peinture faisait respirer le bois, l'herbe mouillée, la terre des champs crevassés à grosses mottes, la chaleur et, comme dit le paysan, le touffo d'une belle journée, la fraîcheur d'une rivière, l'ombre d'un chemin creux ; elle avait des parfums, des fragrances, des haleines. De l'été, de l'automne, du matin, du midi, du soir, Crescent donnait le sentiment, presque l'émotion, en peintre admirable de la sensation. Ce qu'il cherchait, ce qu'il rendait avant tout, c'était l'impression, vive et profonde du lieu, du moment, de la saison, de l'heure. D'un paysage il exprimait la vie latente, l'effet pénétrant, la gaieté, le recueillement, le mystère, l'allégresse ou le soupir. Et de ses souvenirs, de ses études, il semblait emporter dans ses toiles l'espèce d'âme variable, circulant autour de la sèche immobilité du motif, animant l'arbre et le terrain, - l'atmosphère."

Edmond et Jules de Goncourt, Manette Salomon, Folio Classique Gallimard, 1996, p. 361.

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