" Le jour des Morts est la cime de l'année. C'est de ce point que nous embrassons le plus vaste espace. Quelle force d'émotion si la visite aux trépassés se double d'un retour à notre enfance ! Un horizon qui n'a point bougé prend une force divine sur une âme qui s'use. Le 2 novembre en Lorraine, quand sonnent les cloches de la ville natale et qu'une pensée se lève de chaque tombe, toutes les idées viennent me battre et flotter sur un ciel glacé, par lesquelles j'aime à rattacher les soins de la vie à la mort."
"Certaines personnes se croient d'autant mieux cultivées qu'elles ont étouffé la voix du sang et l'instinct du terroir. Elles prétendent se régler sur des lois qu'elles ont choisies délibérément et qui, fussent-elles très logiques, risquent de contrarier nos énergies profondes. Quant à nous, pour nous sauver d'une stérile anarchie, nous voulons nous relier à notre terre et à nos morts.
Dans le pays où les miens ont duré, la vallée de la Moselle me paraît trop populeuse encore, trop recouverte de passants pour que j'entende bien ses leçons. J'aime à gravir les faibles pentes qui la dessinent, à parcourir indéfiniment, loin des centres d'habitation, le vieux plateau lorrain et, par exemple, le Xaintois, ancien pays historique où se dresse la montagne de Sion-Vaudémont.
Venant de Charmes-sur-Moselle, quand j'atteins le haut de la côte sur Gripport, au carrefour où passe la voie romaine, soudain dans un coup de vent je reçois sur ma face tout le secret de la Lorraine. Au loin s'étendent devant moi les solitudes agricoles, et, dans un ciel froid, brusquement, émerge, isolée de toute part, la falaise que spiritualise le mince clocher de Sion. Quel enchantement sous mes yeux, quel air vivifiant me baigne, quelle vénération dans mon cœur ! Sainte colline nationale !"
"Voici la Lorraine et son ciel : le grand ciel tourmenté de novembre, la vaste plaine avec ses bosselures et cent villages pleins de méfiance. Ô mon pays, ils disent que tes formes sont mesquines ! Je te connais chargé de poésie. "
Maurice Barrès, Extraits de "Le 2 novembre en Lorraine", dans Amori et dolori sacrum.
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