Les sévères paroles de Chassagnol :
"Je lui ai dit qu'il s'agissait de nettoyer le Temple, de tomber sur le dos aux fausses vocations, à ces milliers de tableaux qui ne disent rien et qui encombrent... Oh ! la fausse peinture !... Du talent ou la mort ! il n'y a que cela... Il faut décourager trois mille peintres par an... sans cela dans dix ans, tout le monde sera peintre, et il n'y aura plus de peinture... Dans toute ville un peu propre, et qui tient à son hygiène, il devrait y avoir un barathre, où l'on jetterait toutes les croûtes mal venues, pas viables, pour l'exemple!... Mais, nom d'un chien ! l'art, ça doit être comme le saut périlleux : quand on le rate, c'est bien le moins qu'on se casse les reins !... On me dira : Ils mourront de faim... Ils ne meurent pas assez de faim ! Comment ! vous avez tous les encouragements, toutes les récompenses, tous les secours... j'en ai lu l'autre jour la statistique, c'est effrayant... les croix, les commandes, les copies, les portraits officiels, les achats de l'État, des ministères, du souverain quand il y en a un, des villes, des Sociétés des amis des arts... plus d'un million au budget !... Et vous vous plaignez ! Tenez ! vous êtes des enfants gâtés... Ni tutelle, ni protection, ni encouragement, ni secours... voilà le vrai régime de l'art... On ne cultive pas plus les talents que les truffes... L'art n'est pas un bureau de bienfaisance..."
Edmond et Jules de Goncourt, Manette Salomon, Folio Classique Gallimard, p. 207.