mercredi 15 janvier 2025

on lit tout autrement lorsqu'un livre vous appartient

"Il [Hans Castorp] avait fait venir avec ses affaires d'hiver quelques livres relatifs à sa profession, des traités scientifiques destinés aux ingénieurs, sur les techniques de construction navale, sauf que le jeune Hans Castorp négligeait ces volumes au profit d'autres ouvrages pédagogiques aux sujets alléchants, provenant d'une discipline bien différente, d'une tout autre faculté. C'étaient des ouvrages d'anatomie, de physiologie et de biologie, rédigés dans diverses langues, en allemand, en français et en anglais : un beau jour, le libraire du bourg les expédia à Hans qui, manifestement, les avait commandés de son propre chef et en toute discrétion, à l'occasion d'une promenade qu'il avait faite à Davos-Platz sans Joachim. Joachim fut surpris de voir ces livres entre les mains de son cousin. Ils étaient coûteux, comme tous les ouvrages scientifiques : les prix étaient encore inscrits sur la page de garde  et la couverture. Il demanda à Hans pourquoi, s'il voulait lire ce genre de littérature, il n'en avait pas emprunté au docteur [Behrens], qui devait  sûrement en avoir un bon assortiment, et Hans répliqua qu'il voulait les avoir en sa possession, et qu'on lisait tout autrement lorsqu'un livre vous appartenait ; il aimait du reste à les annoter, les souligner."
Thomas Mann, La Montagne magique, Le Livre de Poche, 2019, p. 420-421.

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