mercredi 15 janvier 2025

Dans la Montagne magique, Lodovico Settembrini prône le crémation


"Settembrini prônait cette dernière [la crémation]. on pouvait ainsi pallier cette infamie [la putréfaction], dit-il joyeusement : l'humanité était sur le point d'y remédier pour des raisons utilitaires, mais aussi pour des motifs d'ordre théorique. Et il déclara qu'il participait aux préparatifs d'un congrès international sur l'incinération qui se déroulerait probablement en Suède. On projetait d'y exposer un crématorium et un colombarium modèles, largement tributaires de toutes les expériences précédentes, et l'on avait tout lieu de s'attendre à d'amples retombées ayant valeur d'incitation. Quel procédé vieillot et obsolète que l'enterrement, face aux conditions de l'époque moderne ! L'extension des villes ! Les cimetières, ces fameux lieux de repos, relégués dans les faubourgs, vu le manque d'espace ! Le prix des terrains ! L'acte d'inhumation désacralisé par le nécessaire recours aux moyens de transport modernes ! Sur tous ces points, M. Settembrini excella à faire des remarques d'une pertinence toute réaliste. Il plaisanta sur le personnage du veuf éploré se rendant quotidiennement sur la tombe de sa chère défunte pou y converser avec elle. De toute évidence, un tel songe-creux avait, curieusement, du temps à ne plus savoir qu'en faire, ce bien le plus précieux de l'existence, mais l'exploitation massive des cimetières centraux modernes ne tarderait pas à le dégoûter de ce sentimentalisme atavique. Détruire la dépouille par les flammes, quelle idée propre, hygiénique, digne, voire héroïque, par rapport à celle de l'abandonner à une misérable autodécomposition et à l'assimilation par des organes inférieurs ! Même les sentiments trouvaient davantage leur compte dans ce nouveau procédé, étant donné que l'être humain avait besoin de durer. En effet, ce que le feu anéantissait, c'étaient des composantes du corps qui se modifiaient de toute façon, et qui, de son vivant déjà, étaient assujetties au métabolisme ; en revanche, celles qui participaient le moins à ce flux et accompagnaient l'homme dans son existence adulte presque sans se modifier résistaient également au feu et formaient les cendres grâce auxquelles les survivants recueillaient ce que le défunt avait eu d'impérissable."
Thomas Mann, La Montagne magique, Le Livre de Poche biblio, 2019, p. 699-700.

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