"A cinq heures, quand ils s'éloignèrent du beau Mont-Saint-Michel abîmé par un de ces forts qui commencent à ne plus servir, le soleil se tenait encore haut dans le ciel. Tout ce pays est à peu près semblable, caractérisé par une certaine médiocrité de la ligne qui ne s'enfle jamais beaucoup. Ces collines où serpente la rivière se vêtent de vignes à la base, de forêts au-dessus, et parfois leurs sommets demeurent dénudés. La Moselle, en se jetant à angle droit vers le nord-est, rejoignit les vastes bois de la Haie qu'elle avait quittés vers Toul. Paysage d'un joli ton clair et charmant de sérénité heureuse. Il n'affirme rien largement, vigoureusement ; sa grâce se développe un peu incertaine, mais les peupliers près de l'eau expriment un féminin, une pureté extraordinaires. Bientôt le ciel amortit sa grande chaleur et parmi des bouquets d'arbres, le long d'une rivière, - mystérieuse, à mesure qu'elle prenait des tons sombres, comme un enfant en velours violet, - ces paysages un peu maigres et qui, sous le soleil, avaient vite fini de parler, s'enveloppèrent d'élégante volupté...
On est simple, simple, en Lorraine. On craint si fort de surfaire, de s'en faire accroire, qu'on apprécie mal ce qu'on possède. Qui voudra interpréter en beautés ces jolis endroits d'une douceur un peu atone ? "
Maurice Barrès, "L'Appel au soldat", dans Romans et voyages, tome I, collection Bouquins, Robert Laffont, 1994, p. 914-915.
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