Ceux qui bénéficient de la laïcité ne la défendent pas
Y a-t-il
encore quelqu'un pour défendre la laïcité et le sécularisme auprès des
instances internationales ? Pour Karima Bennoune,
rapporteuse spéciale des Nations unies dans le domaine des droits culturels, la
laïcité – et le sécularisme qui en résulte – n'ont pas franchement la cote auprès
des organismes internationaux, où siègent de nombreux représentants qui ne
dissimulent pas leurs convictions religieuses, notamment lorsqu'il est question
des droits des femmes. Plus inquiétant encore pour cette professeure de droit à
l'université de Californie à Davis, la laïcité fait aussi l'objet d'un contre-discours
véhiculé par des milieux universitaires anglophones, qui perçoivent
essentiellement cette spécificité française comme une entrave au fait religieux.
Karima Bennoune est née et a grandi en Algérie et aux États-Unis. Elle a publié
Votre fatwa ne s'applique pas ici Temps Présent Éditions), un récit basé sur
les témoignages de plus de 300 personnes dans 30 pays, qui s'opposent aux
fondamentalismes. Consultante pour l'Unesco avant de devenir rapporteuse dans
le domaine des droits culturels pour l'ONU, Karima Bennoune défend la laïcité comme
un préalable aux droits de l'homme.
Karima Bennoune : Il est assez rare qu'une instance
de l'ONU se prononce explicitement au sujet de la laïcité, sauf de temps à autre
pour la critiquer, notamment sur la question du voile. En tant que rapporteuse
spéciale dans le domaine des droits culturels à l'ONU, j'ai toujours souligné l'importance
de la laïcité [traduite par « secularism » en anglais, NDLR] comme condition préalable
aux droits humains. Ces prises de position ne sont pas exactement considérées
comme politiquement correctes à l'ONU. Mais j'insiste, car la laïcité en tant
que principe de séparation entre l'État et la religion est, entre autres, un élément
puissant dans la lutte contre les idéologies extrémistes et fondamentalistes
qui visent les femmes. J'ai écrit dans un rapport que la laïcité « ménage aux
femmes et aux minorités un espace qui leur permet de critiquer ces idéologies
et d'exercer leurs droits culturels sans discrimination. La laïcité se
manifeste sous diverses formes, dans toutes les régions du monde ». La laïcité n'est
pas l'athéisme et j'aime la définition qu'en donne la féministe indienne Gita
Sahgal : « La laïcité ne signifie pas l'absence de religion, mais renvoie plutôt
à une structure étatique qui défend tout à la fois la liberté d'expression et
la liberté de religion ou de conviction, où il n'y a pas de religion d'État, où
la loi n'est pas d'inspiration divine et où les acteurs religieux ne peuvent
imposer leur volonté sur les politiques des pouvoirs publics. » Elle n'oppose
pas « les croyants et les laïques, mais les antilaïques et ceux qui ont des
valeurs laïques », et ce n'est pas un détail !
Le Point, 4 décembre 2020
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire