vendredi 4 décembre 2020

Karima Bennoune et la laïcité

Ceux qui bénéficient de la laïcité ne la défendent pas

Y a-t-il encore quelqu'un pour défendre la laïcité et le sécularisme auprès des instances internationales ? Pour Karima Bennoune, rapporteuse spéciale des Nations unies dans le domaine des droits culturels, la laïcité – et le sécularisme qui en résulte – n'ont pas franchement la cote auprès des organismes internationaux, où siègent de nombreux représentants qui ne dissimulent pas leurs convictions religieuses, notamment lorsqu'il est question des droits des femmes. Plus inquiétant encore pour cette professeure de droit à l'université de Californie à Davis, la laïcité fait aussi l'objet d'un contre-discours véhiculé par des milieux universitaires anglophones, qui perçoivent essentiellement cette spécificité française comme une entrave au fait religieux. Karima Bennoune est née et a grandi en Algérie et aux États-Unis. Elle a publié Votre fatwa ne s'applique pas ici Temps Présent Éditions), un récit basé sur les témoignages de plus de 300 personnes dans 30 pays, qui s'opposent aux fondamentalismes. Consultante pour l'Unesco avant de devenir rapporteuse dans le domaine des droits culturels pour l'ONU, Karima Bennoune défend la laïcité comme un préalable aux droits de l'homme.

 Karima Bennoune : Il est assez rare qu'une instance de l'ONU se prononce explicitement au sujet de la laïcité, sauf de temps à autre pour la critiquer, notamment sur la question du voile. En tant que rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels à l'ONU, j'ai toujours souligné l'importance de la laïcité [traduite par « secularism » en anglais, NDLR] comme condition préalable aux droits humains. Ces prises de position ne sont pas exactement considérées comme politiquement correctes à l'ONU. Mais j'insiste, car la laïcité en tant que principe de séparation entre l'État et la religion est, entre autres, un élément puissant dans la lutte contre les idéologies extrémistes et fondamentalistes qui visent les femmes. J'ai écrit dans un rapport que la laïcité « ménage aux femmes et aux minorités un espace qui leur permet de critiquer ces idéologies et d'exercer leurs droits culturels sans discrimination. La laïcité se manifeste sous diverses formes, dans toutes les régions du monde ». La laïcité n'est pas l'athéisme et j'aime la définition qu'en donne la féministe indienne Gita Sahgal : « La laïcité ne signifie pas l'absence de religion, mais renvoie plutôt à une structure étatique qui défend tout à la fois la liberté d'expression et la liberté de religion ou de conviction, où il n'y a pas de religion d'État, où la loi n'est pas d'inspiration divine et où les acteurs religieux ne peuvent imposer leur volonté sur les politiques des pouvoirs publics. » Elle n'oppose pas « les croyants et les laïques, mais les antilaïques et ceux qui ont des valeurs laïques », et ce n'est pas un détail !

Le Point, 4 décembre 2020

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