"Mais sans doute Swann, fidèle ou revenu à une conception différente, goûtait-il dans la jeune femme grêle aux yeux pensifs, aux traits las, à l'attitude suspendue entre la marche et l'immobilité, une grâce plus botticellienne. Il aimait encore en effet à voir en sa femme un Botticelli ; Odette qui au contraire cherchait non à faire ressortir mais à compenser, à dissimuler ce qui, en elle-même, ne lui plaisait pas, ce qui était peut-être, pour un artiste, son caractère, mais que comme femme elle trouvait des défauts, ne voulait pas entendre parler de ce peintre. Swann possédait une merveilleuse écharpe orientale, bleue et rose, qu'il avait achetée parce que c'était exactement celle de la Vierge du Magnificat. Mais Mme Swann ne voulait pas la porter. Une fois seulement elle laissa son mari lui commander une toilette toute criblée de pâquerettes, de bleuets, de myosotis et de campanules d'après la Primavera du Printemps. Parfois, le soir, quand elle était fatiguée, il me faisait remarquer tout bas comme elle donnait sans s'en rendre compte à ses mains pensives, le mouvement délié, un peu tourmenté de la Vierge qui trempe sa plume dans l'encrier que lui tend l'ange, avant d'écrire sur le livre saint où est déjà tracé le mot "Magnificat". Mais il ajoutait : "Surtout ne lui dites pas, il suffirait qu'elle le sût pour qu'elle fît autrement".
Marcel Proust, À l'ombre des jeunes filles en fleurs, Le Livre de Poche Classique, 1992, p. 239.
Marcel Proust, À l'ombre des jeunes filles en fleurs, Le Livre de Poche Classique, 1992, p. 239.
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Les excellentes photographies sont de Takashi Okamura. Elles sont extraites de :
Glenn M. Andres, John M. Hunisak, A. Richard Turner, L'Art de Florence, vol. 2, Paris, Bordas, 1989, p. 880 pour Le Printemps et p. 892 pour La Madone du Magnificat.
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