dessins de Jacques Le Moyne, gravures de Théodore de Bry, 1591
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"Fallait-il, ou non, continuer longtemps encore ces voyages de découverte, et, en ce cas, de quel côté se diriger. Vers le sud ? Mais on savait que le pays était marécageux, exposé aux inondations maritimes, et à peu près inhabitable. Vers le nord ? Il est vrai qu'on retrouverait l'emplacement de Charlesfort, et qu'on serait assuré d'un mouillage excellent pour les navires, sans parler d'un port commode, mais une triste expérience n'avait-elle pas appris tout récemment que cette contrée était stérile ? Ne valait-l donc pas mieux rester dans le pays où l'on se trouvait, et surtout aux alentours de cette belle rivière de May (St. Johns River, Florida), où le mil et les fruits poussaient en abondance, où les arbres des forêts fournissaient des bois de construction, où la chasse et la pêche assuraient des ressources quotidiennes, où l'on avait espoir enfin de découvrir des métaux précieux ? Tels furent les principaux objets d'une délibération solennelle (28 juin) à laquelle Laudonnière convoqua ses officiers, ainsi que les maîtres et pilotes de ses navires. Son avis prévalut ; car tous ceux qui, comme lui, avaient fait partie du premier voyage, penchaient pour la rivière de May. Il fut donc résolu qu'on s'y établirait, et aussitôt on vira de bord. le voyage de retour fut rapide, car dès le lendemain, 29 juin, on jetait à nouveau l'ancre à l'embouchure du fleuve.
On trouva d'abord une crique de moyenne grandeur, que bordait un joli bois. Mais l'emplacement ne parut pas très commode, et on se décida à pousser plus avant dans l'intérieur du pays, sur le territoire de Satouriona. Le pays était admirable ; à travers les forêts de sapins s'ébattaient des troupeaux de cerfs ; un val pittoresque, tout aussitôt nommé val Laudonnière par les soldats, débouchait près de la haute montagne découverte une semaine auparavant. L'endroit parut favorable pour y fonder un établissement. Les indigènes paraissaient accueillants, la région fertile, la température douce. De plus une petite île triangulaire, de facile défense, s'étendait dans le fleuve, et semblait appeler les colons. Laudonnière n'hésita plus : il débarrassa ses navires de tout le matériel qui les encombrait, renvoya tout de suite en France l'Elisabeth, avec son capitaine et une partie de l'équipage, mais retint les deux autres navires.
Avant tout Laudonnière devait pourvoir à la sécurité de ses hommes, et leur donner un abri. Le nombre des Indiens augmentait tous les jours : ils ne témoignaient aucun sentiment hostile ; au contraire ils étaient empressés et confiants, mais ils ne se décidaient qu'avec peine à donner des provisions ; on eût dit qu'ils attendaient pour déclarer leur sympathie que la permission en fût donnée par le cacique Satouriona, dont ils parlaient avec emphase, en vantant sa puissance et son courage.
Laudonnière comprit qu'il devait se faire respecter, et il commença la construction de son fort ; ce ne fit pas sans avoir appelé sur l'entreprise les bénédictions du ciel.
A l'ouest, la petite île triangulaire fut défendue par un rempart de gazon contre une attaque soudaine ; au sud-est et au nord-ouest la rivière servait à la place de fossé : mais on eut soin d'en garantir les approches par des palissades et des fascines. A l'intérieur, les Français construisirent quelques baraques en planches. Comme ils avaient entendu parler de la fureur des ouragans qui ravagent la côte, et enlèvent toitures et maisons, ils eurent soin, pour ne pas donner prise au vent, de construire ces baraques presque à ras du sol. Ils prirent aussi la précaution de bâtir en dehors de la citadelle le four destiné à cuire leur pain. les canons furent débarqués, et disposés de façon à battre les deux rives du fleuve. Deux des dessins de Jacques Le Moyne de Morgues se rapportent à la construction du fort (voir les deux dessins ci-dessus). On voit dans la première de ces planches nos compatriotes occupés à construire un abri. Les uns creusent, les autres apportent des terres, ceux-ci élèvent une maison en bois. des sentinelles observent la campagne, et rappellent qu'on est, sinon en pays ennemi, du moins dans une contrée encore peu connue. La seconde des planches de Le Moyne représente le fort achevé, et déjà garni de ses canons.
Laudonnière donna à la nouvelle citadelle le nom du souverain (Charles IX) dont il se considérait comme le mandataire, et le drapeau fleurdelisé flotta sur les murs de la Caroline.
Paul Gaffarel, Histoire de la Floride française, Paris, 1875, p. 56-59. Repris de :
L’histoire
notable de la Floride située ès Indes Occidentales, contenant les trois voyages
faits en icelle par certains capitaines & pilotes françois descrits par le capitaine Laudonnière, qui y a commandé
l’espace d’un an trois moys : à laquelle a esté adjousté un quatriesme
voyage fait par le capitaine Gourgues. mise en lumière par M. Basanier.
Pour
les deux planches de Le Moyne :
Brevis narratio eorum quae in
Florida Americae provincia Gallis acciderunt secunda in illam
navigatione
duce Renato de Laudonniere Classis praefecto anno M. D. LXIIII. Quae est
secunda
pars Americae… Auctore Jacobo Le Moyne cui cognomen de Morgues,… Nunc primum
gallico sermone a Theodoro de Bry, … in lucem edita : latio vero donata a
C.C.A., planches IX et X.
Sur René de Laudonnière :
Charles E. Bennett, Fort Caroline and its Leader, Gainesville, The University Press of Florida, 1976.
Sur René de Laudonnière :
Charles E. Bennett, Fort Caroline and its Leader, Gainesville, The University Press of Florida, 1976.
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