"En cette même année 1830, ou dans des années qui la touche de très près, paraît Shika Shashinkiô, IMAGES DES POETES, une série de dix grandes impressions en couleur (H.50, L. 22 centimètres) qui, selon moi, est la série révélatrice du grand dessinateur et du puissant coloriste qu'est Hokousaï.
Dans ces dix compositions, du plus fier dessin, de la plus savante assurance dans le trait, la coloration de l'aquarelle qui les recouvre a une solidité, pour ainsi dire, un gras qui vous enlève toute impression d'un coloriage sur du papier, mais vous fait regarder ces images ainsi que vous regarderiez des panneaux recouverts de la plus sérieuse peinture à l'huile. Non, rien ne peut donner une idée de la grandeur, du pittoresque, de la couleur à la fois réelle et poétique des paysages en hauteur où se passent ces scènes lyriques.
Les titres de cette série de la plus grande rareté tantôt portent le nom d'un poète, tantôt le titre d'une poésie.
V. Sous un immense pin, au bord de la mer, au-dessus de rochers rouges ayant la forme accidentée de congélations, adossé à la balustrade d'une haute terrasse, dans un élégant mouvement de retournement de la tête en arrière, un homme contemple le ciel où brille la lune.
C'est le poète japonais Nakamaro, devenu ministre en Chine, qui a fait, en sa nouvelle patrie, un poème où il dit que, lorsque son âme se promène dans le ciel et qu'il voit cette lune qu'il a vue aux flancs de la montagne de Mikasa, près de Kasouga, cette lune le console, lui fait oublier les misères de l'existence, lui rappelle son Japon, - une pièce qui fut cause de sa disgrâce, par le témoignage qu'elle apportait de son attachement pour son ancienne patrie."
Edmond de Goncourt, Outamaro, Hokousaï. L'art japonais au XVIIIe siècle, U.G.E., 10/18, 1986, p. 247-248.
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Quand Abe no Nakamaro (698-770) eut seize ans, il accompagna un envoyé diplomatique japonais en Chine pour essayer d'obtenir les secrets du système inventé par les Chinois pour le calcul du temps. Les visiteurs furent reçus de manière amicale par l'empereur de Chine, mais il fut refusé à Nakamaro de retourner dans son pays natal. Bien que retenu captif en Chine pour le reste de sa vie, il devint un administrateur capable et par la suite gouverneur provincial. A un moment de sa carrière, il composa un célèbre poème pour exprimer sa nostalgie du Japon.
Ama no hara furisake mireba
Kasuga naru
Misaka no yama ideshi tsuki kamo.
Quand je regarde la plaine du ciel, je m'émerveille :
Est-ce la même lune qui se levait
Par-dessus le Mont Mikasa à Kasouga ?
Matthi Forrer, Hokusai, Prints and Drawings, München, Prestel-Verlag, 1991, n° 69.