jeudi 28 novembre 2019

Françoise Chandernagor, L'église Saint-Quiriace de Provins

"L'étape suivante sur le chemin de Paris était Provins, dont je connaissais le donjon et les remparts ; mais de l'église Saint-Quiriace je n'avais gardé aucun souvenir.
Le brouillard s'épaississait ; sur la petite place, où des ormes poudreux encadraient un calvaire, je foulai de la neige vierge.
L'église, achevée au Grand Siècle, avait des airs baroques ; mais, sous son dôme prétentieux, je reconnus le vide glacé et la misère sans élégance de Vaumarie [lieu fictif] et de Saint-Loup-de-Naud. Peu de bancs, des confessionnaux où s'amoncelait la poussière, un bénitier sans eau ; le grand autel de marbre avait été abandonné au profit d'un comptoir de bois récupéré dans les bureaux d'un notaire ou l'arrière-boutique d'un épicier. On l'avait posé à la croisée du transept sans chercher à l'embellir : ni nappe, ni crucifix, ni chandeliers. La crainte des pilleurs d'églises suffisait-elle à expliquer qu'on ne se fût pas non plus donné la peine de le peindre ou de le cirer ?
En entrant j'avais dérangé les jeux de trois adolescents en blouson qui sautaient sur les stalles du chœur ; leurs bonds avaient bousculé les chaises et renversé quelques bancs. Contraints aux chuchotis par mon arrivée inopinée, ils reprirent vite de l'assurance ; ils se poursuivaient en hurlant dans les travées, enchantés de l'écho qu'y trouvaient leurs cris. Le plus jeune tenait un marteau. Je sentis, pour les derniers saints de bois échappés aux brocanteurs, une grande pitié."
La Sans Pareille. Leçons de ténèbres, I, 1988, p. 9-10.

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