mardi 22 mai 2018

ravelin et demi-lune... et ouvrage à cornes... dans Tristram Shandy


Jean Boucon, Sur les pas de Vauban en Lorraine et au-delà des frontières, Metz, Editions Serpenoise, 2007, p. 15.
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- L'homme du commun, qui ne s'entend guère aux fortifications, confond d'ordinaire le ravelin et la demi-lune ; il y a pourtant entre eux une grande différence qui ne tient pas à leur dessin ou à leur construction, car nous les faisons exactement de même : ils comportent invariablement deux faces formant un angle saillant et une gorge non point droite, mais en forme de croissant.
- Où est donc la différence ? dit mon père avec un peu d'humeur.
- Dans leur situation, répondit mon oncle Toby, car lorsqu'un ravelin, frère, se trouve devant une courtine, il se nomme ravelin et lorsqu'un ravelin se trouve devant un bastion, il n'est plus ravelin, mais demi-lune. De même, une demi-lune est une demi-lune et rien d'autre tant qu'elle reste devant son bastion ; mais si elle changeait de place et passait devant une courtine, elle ne serait plus une demi-lune ; une demi-lune, dans ce cas, cesse d'être une demi-lune, elle n'est plus qu'un ravelin.
- Je vois, dit mon père, que cette noble science a ses côtés faibles comme les autres.
- Quant à l'ouvrage à cornes, continua mon oncle Toby, c'est une partie très considérable des défenses extérieures, qui doit son nom aux ingénieurs français ; nous les destinons d'ordinaire à la couverture de points que nous soupçonnons plus faibles que les autres ; il comporte deux épaulements ou demi-bastions vraiment très jolis ; je vous engage, si vous voulez faire quelques pas, à venir en voir un qui vaut vraiment la peine. Couronnés, ils sont, à mon avis, beaucoup plus forts mais plus onéreux aussi et prennent davantage de terrain, ce qui les rend plus propres à couvrir la tête d'un camp, autrement dit la double tenaille.
- Par la mère qui nous conçut, frère Toby, s'écria mon père incapable de se contenir plus longtemps, vous damneriez un saint ; vous voilà jusqu'au cou dans votre sujet favori... Au diable la science des fortifications et ceux qui l'inventèrent ; elle a causé la mort de milliers d'hommes et finira par amener la mienne. Quand on me donnerait Namur et toutes les villes des Flandres par-dessus, je ne voudrais pas, non, je ne voudrais pas, mon frère, avoir une tête aussi pleine de sapes, de mines, de culs de sac, de gabions, de palissades, de ravelins, de demi-lunes et de toutes ces foutaises.
😇
Laurence Sterne, Vie et opinions de Tristram Shandy, GF Flammarion, 1982, p. 114-115.

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