Un rêve de bonheur au XVIIIe siècle :
" Je mènerai une vie sage et chrétienne..., je
m'occuperai de l'étude et de la religion, qui ne me permettront point de penser
aux dangereux plaisirs de l'amour. Je mépriserai ce que le commun des hommes
admire ; et comme je sens assez que mon cœur ne désirera que ce qu'il estime,
j'aurai aussi peu d'inquiétudes que de désirs. Je formai là-dessus, d'avance,
un système de vie paisible et solitaire. J'y faisais entrer une maison écartée,
avec un petit bois et un ruisseau d'eau douce au bout du jardin, une bibliothèque
composée de livres choisis, un petit nombre d'amis vertueux et de bon sens, une
table propre, mais frugale et modérée. J'y joignais un commerce de lettres avec
un ami qui ferait son séjour à Paris, et qui m'informerait des nouvelles
publiques, moins pour satisfaire ma curiosité que pour me faire un
divertissement des folles agitations des hommes (1)."
Un rêve de bonheur au XIXe siècle :
" C'est un grand bâtiment carré sans fenêtres au
dehors : une grande cour entourée d'une colonnade de marbre blanc, au milieu
une fontaine de cristal avec un jet de vif-argent à la manière arabe, des
caisses d'orangers et de grenadiers posées alternativement ; par là-dessus un
ciel très bleu et un soleil très jaune ; de grands lévriers au museau de
brochet dormiraient çà et là ; de temps en temps des nègres pieds nus avec des
cercles d'or aux jambes, de belles servantes blanches et sveltes, habillées de
vêtements riches et capricieux, passeraient entre les arcades évidées, quelque
corbeille au bras, ou quelque amphore sur la tête. Moi, je serais là, immobile,
silencieux, sous un dais magnifique, entouré de piles de carreaux, un grand
lion privé sous mon coude, la gorge nue d'une jeune esclave sous mon pied en
manière d'escabeau, et fumant de l'opium dans une grande pipe de jade (2)."
1. Abbé Prévost, Histoire
du chevalier des Grieux et
de Manon Lescaut, Le Livre de poche classique, 2005, p. 118-119.
2. René Jasinski, Les
années romantiques de Théophile Gautier, Paris, 1929, p. 312 : un extrait
de Mademoiselle de
Maupin. Gautier a peut-être été inspiré par un portrait de
Méhémet-Ali, le vice-roi d'Egypte, par Horace Vernet. Voir aussi le palais d'or
de l'Eldorado dans Fortunio de Gautier (chapitre XXIV), qui a
amplifié le texte de Mademoiselle
de Maupin cité ci-dessus.
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