vendredi 28 août 2015

deux rêves de bonheur opposés

Un rêve de bonheur au XVIIIe siècle :
" Je mènerai une vie sage et chrétienne..., je m'occuperai de l'étude et de la religion, qui ne me permettront point de penser aux dangereux plaisirs de l'amour. Je mépriserai ce que le commun des hommes admire ; et comme je sens assez que mon cœur ne désirera que ce qu'il estime, j'aurai aussi peu d'inquiétudes que de désirs. Je formai là-dessus, d'avance, un système de vie paisible et solitaire. J'y faisais entrer une maison écartée, avec un petit bois et un ruisseau d'eau douce au bout du jardin, une bibliothèque composée de livres choisis, un petit nombre d'amis vertueux et de bon sens, une table propre, mais frugale et modérée. J'y joignais un commerce de lettres avec un ami qui ferait son séjour à Paris, et qui m'informerait des nouvelles publiques, moins pour satisfaire ma curiosité que pour me faire un divertissement des folles agitations des hommes (1)." 

  Un rêve de bonheur au XIXe siècle :
" C'est un grand bâtiment carré sans fenêtres au dehors : une grande cour entourée d'une colonnade de marbre blanc, au milieu une fontaine de cristal avec un jet de vif-argent à la manière arabe, des caisses d'orangers et de grenadiers posées alternativement ; par là-dessus un ciel très bleu et un soleil très jaune ; de grands lévriers au museau de brochet dormiraient çà et là ; de temps en temps des nègres pieds nus avec des cercles d'or aux jambes, de belles servantes blanches et sveltes, habillées de vêtements riches et capricieux, passeraient entre les arcades évidées, quelque corbeille au bras, ou quelque amphore sur la tête. Moi, je serais là, immobile, silencieux, sous un dais magnifique, entouré de piles de carreaux, un grand lion privé sous mon coude, la gorge nue d'une jeune esclave sous mon pied en manière d'escabeau, et fumant de l'opium dans une grande pipe de jade (2)." 

1. Abbé Prévost, Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, Le Livre de poche classique, 2005, p. 118-119. 
2. René Jasinski, Les années romantiques de Théophile Gautier, Paris, 1929, p. 312 : un extrait de Mademoiselle de Maupin. Gautier a peut-être été inspiré par un portrait de Méhémet-Ali, le vice-roi d'Egypte, par Horace Vernet. Voir aussi le palais d'or de l'Eldorado dans Fortunio de Gautier (chapitre XXIV), qui a amplifié le texte de Mademoiselle de Maupin cité ci-dessus.

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