jeudi 3 avril 2025

Nerval dans Solénoïde de Mircea Cărtărescu


Gérard de Nerval par Nadar
-
Dans son  grand roman  Solénoïde, collection Points Signatures, Cărtărescu a inséré  des extraits du célèbre poème de Gérard de Nerval : El Desdichado.

"Mais de même que tout succès  dans la vie cache un échec et que chaque échec camoufle un succès, il te faut peut-être deux mains pour écrire un texte qui ne se veut pas seulement distraction, consolation ou hypnose. L'une d'elles est à celui qui écrit penché sur le manuscrit, l'ombrant et le dominant de son autorité, l'autre est au ténébreux, à l'anonyme inconsolé qui, se trouvant dans le manuscrit, sous la page qu'il est le premier à écrire, la remplit par en dessous avec ses propres signes, la colorie avec ses images, tapi sous le plafond, comme Michel-Ange sur son échafaudage de planches, la peinture lui coulant sur les yeux et la figure, peignant des personnes étranges sur le ciel intérieur de la chapelle" (p. 589).
Mircea Cărtărescu expose ici deux conceptions de la littérature.

"Vaschide n'essaya pas de la retrouver [Chloé] : la femme était littéralement sortie de son esprit. Il ne poursuivit pas non plus ses expériences sur les rêves — le lieu géométrique où le sexe s'allie au cerveau, et où le cœur est écarté du jeu — , car il était allé dans la Caverne où nage la Sirène" (p. 700).
Dans le poème de Nerval, c'est la grotte où nage la syrène. Dans certaines éditions on a sirène.

"Mais ce qui allait pour elle et pour nous, plus tard, ce qu'il allait advenir de notre monde plus triste que tous ceux  jamais imaginés sous le soleil noir de la mélancolie, nous ne pouvions pas le voir : la solution de l'énigme, la réponse donnée au Sphinx, la disposition finale des pièces du puzzle les unes dans les autres sortait du cadre immatériel de la bulle de savon, car cela n'entrait pas , à cet instant-là, dans les sept saintes longueurs d'onde de notre vision intérieure adossées à la courbure de la bulle de savon, c'était de l'infravie et de l'ultradestin, c'était la main qui dessine une autre main qui sort de la page et dessine la première, dans une suite sans fin" (p. 863-864).

On peut aussi signaler qu'il a repris la seconde phrase du début d'Aurélia
"Nous avons l'enfer en nous, nous avons aussi le paradis, la porte en corne  mais aussi la porte d'ivoire, nous avons à choisir entre plusieurs sorties, entre d'innombrables sorties, car innombrables sont les portes rouges, descendant sur des milliers d'étages, dans l'édifice hypogéique [hypogée] de notre esprit" (p. 786).
Voici la seconde phrase du début  d'Aurélia de Nerval : "Le Rêve est une seconde vie. Je n'ai pu percer sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible."

Le nom de Nerval est cité par Mircea Cărtărescu, accompagné d'autres auteurs :
"Les romantiques avaient découvert cinquante ans plus tôt le rivage perdu du rêve et de l'enfance. Achim et Bettina von Arnim, Jean Paul, Hoffmann, Chamisso, Nerval.. Poe... Ils avaient souvent écrit à tort et à travers, mais ils avaient su saisir, comme une petite flamme qui s'élève du bois humide, la grande lumière du rêve" (p. 683).

"Dès les bancs de la faculté, où il avait étudié Schopenhauer et Nietzsche et où il avait lu Nerval, Barbey d'Aurevilly et Baudelaire, Nicolas Vaschide avait compris le mécanisme du rêve et perçu ses détails scintillants, tout comme Tesla pouvait visualiser ses moteurs à courant alternatif, rendus concrets en l'air, pièce par pièce, sous ses yeux" (p. 685). 
À ma connaissance, n'est point évoqué le mécanisme du rêve dans les œuvres romanesques de Barbey d'Aurevilly. 

"Tu n'as pas choisi au hasard Le Musée noir, ni Malpertuis, ni les poèmes de Nerval, ni Malte Laurids Brigge, ni Le Horla, ni Maldoror, ni le génial texte du Président Schreiber, ni Blecher, ni Kavafis, ni le maître des rêves, Kafka..." (p. 882).

"Vers le plus obscur de ces cinémas menait un passage qui abritait aussi un photographe et un atelier de remaillage de collants pour dames. Au bout de ce passage s'ouvrait une placette, et la salle se trouvait là, à l'arrière, avec son entrée bordée de deux vitrines étroites remplies d'antiques photographies. Les portes étaient grandes ouvertes, comme toutes les autres dans tout le centre-ville qu'on  aurait dit abandonné pour toujours. Le nom de ce cinéma, auquel je n'avais jamais prêté attention avant, était La Chimère" (p. 940). 
C'est évidemment en référence au recueil poétique Les Chimères de Nerval que Mircea Cărtărescu a choisi le nom de ce cinéma.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire