jeudi 27 mars 2025

Mircea Cărtărescu, Lautréamont et Maldoror


Dans Solénoïde de Mircea Cărtărescu (collection Points Signatures), Lautréamont et Les Chants de Maldoror sont plusieurs fois cités.

"Je restais pendant des heures les yeux plongés dans les eaux marron [du lac], à marmonner les poèmes dont mon esprit était rempli : Apollinaire, Rimbaud, Lautréamont..." (p. 85).

"Ni Dante, ni Bosch, ni Lautréamont n'avaient vu de près, quand ils ont conçu leurs enfers, le visage bestial du pou, la face de la larve de mouche, les pattes flagellées du sarcopte" (p. 174).
Est-ce sûr pour Lautréamont ? La neuvième strophe du chant 1er est consacré au pou. Il semble bien qu'il en ai vus de très près. De plus, il avait lu plusieurs livres de sciences naturelles ; il aurait très bien pu y avoir observé des dessins détaillés.

"J'aurais oublié la matière dont on extrait les gouttes limpides de la souffrance, comme le liquide doré qui s'écoule lors d'une ponction lombaire, la matière dont est né Maldoror" (p. 331).  

"Un peu à l'écart [de ceux qui ont écrit de grands livres, Léon Tolstoï, Thomas Mann, James Joyce, Garcia Marquez], il y aura [ceux qui ont écrit un vrai livre], dans leurs guenilles, Kafka et le président Schreber [voir Freud], Isidore Ducasse et Swift et Sabato [Ernesto Sabato], et Darger [Henry Darger, écrivain et peintre américain] et  Rezzori [Gregor von Rezzori], auprès de milliers d'anonymes, auteurs de journaux déchirés, brûlés, avalés, enterrés dans le vacarme du temps" (p. 331-332).

"Au bout de quelques dizaines de pages de Maldoror ou de Gaspard de la nuit, j'arrive au terminus [du tramway]" (p. 469).

"Je retourne ensuite à ma chambre, à ma maison, à ma vie unique. Je me promène entre les meubles, j'ouvre les tiroirs, je regarde les dizaines de menus objets qui se sont accumulés comme s'accumule la neige poussée par le vent dans les coins et au pied des clôtures, des objets qui ont commencé à raconter des histoires. Car, en effet, la beauté est toujours la rencontre fortuite sur une table de dissection du parapluie et de la machine à coudre" (p. 584). 
Une citation extraite du sixième chant de Maldoror :
"Il est beau [ce jeune de seize ans et quatre mois] comme la rétractilité  des serres des oiseaux rapaces ; ou encore, comme l'incertitude des mouvements musculaires dans les plaies des parties molles de la région cervicale postérieure ; ou plutôt, comme ce piège à rats perpétuel, toujours retendu par l'animal pris, qui peut prendre seul des rongeurs indéfiniment, et fonctionner même caché sous la paille ; et surtout, comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie!". Mircea Cărtărescu n'a fait qu'inverser machine à coudre et parapluie. Cette rencontre a été utilisée par André Breton et les surréalistes comme un exemple d'écriture automatique.

"« Qu'est-ce que ça peut être ? » se demandait maman chaque fois qu'elle se souvenait d'un rêve et elle se souvenait toujours de tous et les épinglait dans l'insectarium infaillible de sa mémoire, dans le livre non écrit de ses poèmes, digne qu'elle était de Pline et de Lautréamont" (p. 744).

"Palomar m'a regardé comme si je venais de le tirer d'un rêve : « Pas de bibliothécaire. Je n'ai été bibliothécaire que pour toi. Tu n'as jamais eu la curiosité de regarder ce que je lisais, pendant des heures, dans l'antichambre du saint des saints où tu choisissais tes livres (pas des choix arbitraires, comme tu le crois peut-être encore, mais sélectionnés avec le plus grand soin pour que leur lecture te conduise obligatoirement ici, en cet instant. Tu n'as pas choisi au hasard Le Musée noir [d'André Pieyre de Mandiargues], ni Malpertuis [de Jean Ray], ni les poèmes de Nerval, ni Malte Laurids Brigge [de Rilke], ni Le Horla [de Maupassant], ni Maldoror, ni le génial texte du président Schreber, ni Blecher, ni Kavalis, ni le maître des rêves, Kafka) : ce livre unique, ouvert devant moi sur le bureau, que tu as vu sans le voir pendant toutes ces années où tu es venu à la bibliothèque B.P. Hasdeu. Regarde, tu as l'occasion de le contempler à présent.»" (p. 882).
 "Le livre comportait peut-être une trentaine de planches d'illustrations représentant, sous divers grossissements, des créatures cauchemardesques, toutes plus bizarres, plus hérissées d'appendices invraisemblables, à la morphologie plus fantastique que celle des insectes" (p. 883).
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-  Mircea Cărtărescu, Solénoïde, traduit du roumain par Laure Hinckel, Points Signatures, 2021.


- Comte de Lautréamont, Les Chants de Maldoror (et vingt images originales proposées par des formes naturelles), préface de Maurice Blanchot, Paris, C.F.L., 1963.

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